Fédération européenne des journalistes

France: Un après Charlie très empoisonné


Voilà un après Charlie très empoisonné ! Le Parlement français a voté la loi sur le renseignement qui menace toutes les libertés fondamentales et tous les citoyens. Elle porte gravement atteinte à l’équilibre des trois pouvoirs à la base de notre Constitution en écartant le contrôle judiciaire sur l’exécutif qui, lui, devient prédominant. Le gouvernement et les parlementaires français méprisent ainsi les centaines de milliers de manifestant(e)s qui sont descendu(e)s dans les rues en janvier 2015 pour exprimer leur attachement aux libertés et particulièrement à celles des journalistes. Car nous sommes menacés dans notre existence même. Comment exercer au quotidien en étant écoutés, lus, enregistrés, avec des données conservées sans limites, et localisés à tout instant ? Et ce, sans contrôle d’un juge judiciaire, ni avant, ni pendant, ni après. Seul recours : le Conseil d’Etat. Mais de quelles preuves pourraient disposer d’éventuels plaignants ?

Ces dispositions sont en opposition frontale avec la loi du 4 janvier 2010 sur la protection du secret des sources. Elles sont contraires aux conventions et jurisprudences européennes. Surtout, il s’agit de chaluts industriels pour attraper des anguilles. De l’aveu même des spécialistes, les techniques mises en oeuvre ne permettront pas d’améliorer la détection des terroristes, pas plus qu’elles n’auraient pu empêcher le massacre de Charlie-Hebdo et les événements qui ont suivi.

Les champs de la loi dépassent très largement cette visée. Ils permettent une surveillance multiple : intérêts économiques et scientifiques français, politique étrangère, criminalité organisée, violences collectives… Quid des réunions publiques et des manifestations politiques, sociales ou syndicales ? Le législateur met à disposition de l’exécutif de véritables moyens de guerre pour mettre en oeuvre un espionnage de masse.

Interpellations nationales et internationales, manifestations; dépôt d’amendements : le SNJ (syndicat national des journalistes) a été sur tous les fronts dans ce combat essentiel qui se poursuit devant le Conseil Constitutionnel, auprès du Président de la République et des institutions internationales.

Rappelons qu’en 1978, dans une affaire d’interceptions de sûreté, la Cour européenne des droits de l’homme avait précisé : “Les Etats ne sauraient, au nom de la lutte contre le terrorisme, prendre n’importe quelle mesure, jugée par eux appropriée”. Car le danger serait “de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre”.

Dominique Pradalié
Secrétaire général du SNJ

Edito paru dans Le Journaliste, organe du syndicat national des journalistes, n° 317, juin 2015