Fédération européenne des journalistes

La réponse des journalistes aux autorités françaises sur le projet de loi sur le renseignement


La réponse des autorités françaises à l’alerte lancée sur la Plateforme pour la sécurité des journalistes par la Fédération internationale des journalistes (FIJ), la Fédération européenne des journalistes (FEJ) et Article 19 ne comporte aucun élément propre à nous rassurer. Le Syndicat National des Journalistes (SNJ), affilié de la FIJ et de la FEJ en France, tient à répondre à la lettre du gouvernement français (lire aussi le communiqué diffusé mardi par le SNJ-CGT)…

“Ce projet de loi menace les libertés publiques des citoyens, et, plus spécialement les journalistes et les syndicalistes”, insiste Dominique Pradalié, Secrétaire générale du SNJ.

“En effet, sans de nombreux amendements appropriés au projet de loi sur le renseignement, la profession de journaliste n’aura pas, à court terme, d’avenir en France.
Comment exercer notre profession quand nous serons :
– écoutés,
– lus,
– enregistrés et nos données conservées sans limites,
– localisés à tout instant, nous et notre entourage professionnel et privé ?

Sans contrôle du juge.

Sans pouvoir réagir puisque nous ne le saurons pas !”

La protection du secret des sources

“Comment, par exemple, assurer la protection du secret de nos sources ?
Les mesures du texte sont en opposition frontale à la loi du 4 janvier 2010.
Elles sont contraires aux conventions, lois et jurisprudences européennes.

L’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’en inquiète dés le 6 mai après le vote des députés français. Pour Mme Dunja Mijatovic, la représentante de l’OSCE pour la liberté de la presse, les dispositifs techniques “affecteront le droit des journalistes à protéger la confidentialité de leurs sources, et l’ensemble de leur travail/…/. Le droit des journalistes à rechercher et obtenir de l’information dans l’intérêt général serait gravement remis en cause si la confidentialité des sources n’était pas protégée par un environnement de communication digne de confiance”.
L’OSCE conclut en réclamant “la supervision judiciaire” effective des mesures de sécurité”.

Procédure expéditive pour un espionnage de masse

“La procédure accélérée, voulue par le gouvernement, ne permet pas un débat sérieux et serein sur un sujet essentiel à toute démocratie digne de ce nom : le juste équilibre entre libertés et sécurités. Le principe de proportionnalité n’existe, tout simplement pas, dans le texte.
Le SNJ n’a jamais été informé ni consulté par les auteurs, rédacteurs et promoteurs du texte. Les parlementaires, qui ont voté dans la hâte, sous couvert de défense contre le terrorisme, un texte d’espionnage de masse dans tous les domaines, n’ont pas cherché non plus à avoir la position de la profession !
Le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, tenait conférence de presse ce jeudi 21 mai 2015. Il a tenté de rassurer les journalistes en décrivant un certain nombre de “garde-fous” prévus, selon lui, dans les amendements (145) retenus par la commission des lois. Même s’ils étaient adoptés, ils ne constituent pas, aux yeux du SNJ, des garanties suffisantes pour changer d’avis sur les dangers du texte.
Un texte, dont l’examen par la chambre haute aura lieu les 2,3 et 4 juin, le vote prenant place le 9 juin”.

Des critiques importantes

“Les institutions indépendantes spécialisées, telles la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), la Commission Nationale Consultative pour les Droits de l’Homme ( CNCDH) et le Défenseur des Libertés, sont plus que critiques.
Sous le titre ” Un projet de loi qui porte gravement atteinte aux libertés individuelle” (journal “Le Monde, 14 avril 2015).
Nils Muiznieks, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
Michel Forst, rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme,
Ben Emmerson, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme,
répondent, par avance, aux arguments avancés par les autorités françaises pour justifier ce projet.
Pour le SNJ, “les procédures protectrices des libertés publiques” ne résistent pas à une analyse un peu sérieuse”.

La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement

“Cette “autorité administrative indépendante, composée de magistrats, d’experts et de parlementaires”qui délivrerait des “autorisations préalables” ne protège pas les libertés publiques.
En effet, elle émet un avis, le premier ministre auprès duquel elle travaille, n’est pas tenu de le suivre. En cas “d’urgence”, mais qui décidé de l’urgence ? la commission n’est pas saisie”.

Les recours juridiques

“Le juge judiciaire étant écarté par les promoteurs de ce texte, reste un juge administratif : le Conseil d’Etat.
Outre que les procédures de saisine sont très onéreuses et compliquées, pour y recourir, encore faut-il savoir que vous êtes victimes et de qui et comment et avoir des preuves !”

“Vous allez vraiment voter ça?”

“Dans le cadre de sa campagne d’opposition à ce projet liberticide, le SNJ a proposé une lettre type (modèle ci-dessous) à envoyer aux parlementaires.
Le SNJ remercie la FIJ. la FEJ et Article 19 pour l’alerte lancée sur la Plateforme du Conseil de l’Europe”.

Lettre type à adresser aux parlementaires

Madame La députée,
Monsieur le Député,
Madame la sénatrice,
Monsieur le sénateur,
Vous allez vraiment voter ça ?

Le projet de loi sur le Renseignement est destructeur de la démocratie car :

1) Il démolit profondément l’équilibre constitutionnel des trois pouvoirs qui fondent notre démocratie :
– le pouvoir législatif,
– le pouvoir exécutif,
– le pouvoir judiciaire.

– En instaurant des possibilités légales d’espionnage de masse des citoyens de France sans contrôle judiciaire possible, le législateur introduit une primauté exceptionnelle de l’exécutif. Tout est dans les mains du Premier ministre.

– Les libertés individuelles et le respect de la vie privée sont gravement mis en cause par des procédures tellement intrusives qu’elles ne seraient même pas connues des victimes ! Ces dernières ne pourraient donc pas demander réparation des dommages et préjudices subis, sauf si elles sont traduites en justice avec une incrimination précise.
Encore, pourraient-elles alors savoir exactement l’étendue des données personnelles qui leur ont été volées ? Pas sûr et d’autant moins certain que ces données pourraient être conservées pendant plusieurs années et donc leur être opposées plus tard ! Sans aucun contrôle des juges judiciaires, garants de nos libertés.

2) Il est gravement attentatoire aux libertés démocratiques :
– liberté d’opinion,
– liberté d’expression,
– liberté d’informer et d’être informé,
– libertés individuelles et respect de la vie privée.

Par ses systèmes de capture, sans aucun frein, de toutes les données numériques dont les citoyens usent au quotidien.
Par ses systèmes de géo localisation des femmes et des hommes de notre pays.
Par ses systèmes de capture par “aspiration” de toutes les données numériques existant dans un périmètre de plusieurs centaines de mètres (IMSI catcher).

3) Il interdit toute possibilité pour les journalistes d’enquêter sérieusement et de protéger le secret de leurs sources,
4) Il introduit une suspicion généralisée sur tous les habitants de France en prévoyant qu’ils peuvent être complices, même à leur insu, de terroristes.

Madame la Députée,
Monsieur le Député,
Madame la Sénatrice,
Monsieur le Sénateur,
Vous êtes comptable des principes fondateurs de la démocratie.

– Les organisations politiques, les associations de défense des libertés, les organisations syndicales n’ont jamais été consultées en amont sur un projet qui détruit l’équilibre fragile Libertés/sécurités.
– La procédure accélérée, choisie volontairement, vous empêche tout débat sérieux.
– Ce projet de loi est de circonstance et vous savez, par expérience, combien des textes adoptés à la va-vite se sont révélés inefficaces voire dangereux.
– Presque toutes celles et ceux qui ont eu à traiter des faits de terrorisme récents affirment que ces dispositions n’auraient rien empêché !

Alors,

Madame la députée,
Monsieur le Député,
Madame la Sénatrice,
Monsieur le Sénateur,
Vous allez vraiment voter ça ?

Déjà la France est montrée du doigt, de l’intérieur mais aussi et surtout de l’étranger. Les prises de positions contre ce projet sont le fait de hauts responsables internationaux spécialisés dans les dossiers de droits de l’Homme et de terrorisme.

Vous êtes responsable devant vos électeurs.
Beaucoup se sont mis à consulter le site de l’Assemblée Nationale pour y noter votre présence et votre position dans ce débat trop court de ces quelques jours d’avril. Nul doute donc que les électrices et les électeurs sauront, au moment d’une consultation électorale prochaine, juger qui a défendu la démocratie et qui en a abrogé quelques-uns de ces principes fondateurs.

“Je suis Charlie ». Les citoyennes et citoyens qui ont massivement manifesté leur soutien à la liberté d’expression après le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo et les événements qui ont suivi, ne se reconnaissent pas dans cette loi liberticide.

Madame la Députée,
Monsieur le Député,
Madame la Sénatrice,
Monsieur le Sénateur,

En refusant de voter cette loi inique, vous serez digne de toutes celles et ceux qui ont répondu au terrorisme en réaffirmant leurs exigences des libertés.

(Illustration: www.sous-surveillance.fr)