Fédération européenne des journalistes

France : les harceleurs de “La Ligue du LOL” ne peuvent rester impunis


UPDATE (04-03-2019) : Quatre licenciements ont eu lieux parmi les meneurs de la “Ligue du LOL”: Vincent Glad, fondateur du groupe fermé Facebook, pigiste à Libération et Alexandre Hervaud, rédacteur en chef adjoint du web de Libération ainsi que David Doucet et François-Luc D, respectivement rédacteur en chef et rédacteur en chef adjoint aux Inrockuptibles. Par ailleurs, Prenons la une, Nous toutes et Paye ton journal ont mené une grande enquête en ligne #EntenduALaRédac sur le sexisme et les violences sexuelles dans les médias français. Les résultats sont accablants. “Les systèmes d’alerte en interne des rédactions sont clairement défaillants : Dans 83% des cas, la direction et les RH ne sont pas informées lorsque des violences sexuelles ont lieu dans le cadre du travail. Et quand elles le sont, dans 66% des cas, elles ne prennent aucune mesure, en violation du code du travail”./

Il a fallu attendre l’article de checknews.fr dans le quotidien français Libération, le 8 février 2019, suite à de nombreux tweets de femmes victimes de la “Ligue du LOL” pour que le harcèlement en ligne de journalistes et communicants conduise à des réactions en chaîne sans précédent dans certaines rédactions françaises. Mises à pieds à titre conservatoire, enquête interne, potentielle procédure de licenciement pour faute grave ou démission touchent les médias Libération, Brain Magazine, Les Inrocks, Nouvelles écoutes, notamment (et aussi la Mairie de Paris et Publicis Consultants).

La “Ligue du LOL” est un groupe d’hommes, une trentaine de journalistes et communicants parisiens, des influenceurs sur les réseaux, qui harcelaient d’autres jeunes journalistes sur la toile entre 2009 et 2012 via un groupe Facebook fermé et des comptes Twitter anonymes ou non.

Les campagnes de harcèlement en ligne (mèmes, photomontages salaces, etc.), allant jusqu’au canular téléphonique et à l’usurpation d’identité, ont sévi impunément pour s’arrêter en 2012, laissant des victimes frustrées de ne pas être entendues et surtout de devoir côtoyer professionnellement des hommes qui leur avaient professionnellement nui, tandis qu’ils se hissaient à des postes à responsabilités. Leurs victimes journalistes, vlogueurs et blogueurs sont légion: des femmes et des hommes qui ont subi des insultes sexistes, misogynes, racistes, antisémites, grossophobes et homophobes, des mois durant.

Selon l’article 44 de la convention collective des journalistes: “Faute grave ou fautes répétées dans le service et notamment : voies de fait, indélicatesse, violation des règles d’honneur professionnel. Dans ce cas, si l’intéressé a été congédié sans préavis ni indemnités, après que les règles prévues par la loi ont été respectées, il pourra se pourvoir devant la commission arbitrale prévue par l’article L. 761-5 du Code du travail ou toute autre juridiction compétente.”

Cette question de sécurité au travail reste rarement dénoncée dans notre profession, la majorité d’hommes à la tête des rédactions n’y étant pas étrangère, ainsi que la propension élevée des victimes à l’autocensure. Il existe un sentiment général selon lequel le harcèlement “fait partie du travail”. L’enquête de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), publiée en décembre 2017, le confirme : quasiment la moitié  des femmes journalistes  qui se sont exprimées ont confirmé avoir été victimes de harcèlement sexiste en ligne. Pire, l’étude de la FIJ précise que la première raison qu’évoquent les femmes journalistes cyberharcelées pour ne pas l’avoir dénoncé, c’est le sentiment que ça ne changera rien et globalement, elles se sentent souvent très seules face à cette violence.

Ce 14 février 2019, 580 étudiants et étudiantes en journalisme dénoncent dans une tribune publiée dans Libération le sexisme dans les médias et réclament d’être protégés contre le harcèlement. Dans Le Monde les associations professionnelles Prenons la une (PLU) rassemblant des femmes journalistes et l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bi et trans (AJL) affirment que la “Ligue du LOL” n’a rien d’une exception.

La Fédération européenne des journalistes (FEJ) tient à assurer de sa solidarité les journalistes victimes de “la Ligue du LOL”. La FEJ condamne par ailleurs fermement l’inertie des rédactions qui ont été informées de ces agissements dès 2010 et n’ont rien fait pour en protéger des confrères et des consœurs avant aujourd’hui. Une vraie culture de l’égalité et de la diversité doit d’urgence se développer  et être encouragée dans les rédactions et les écoles de journalisme.

La FEJ se réjouit néanmoins que des sanctions à l’encontre des membres de “la Ligue du LOL” soient étudiées par les rédactions maintenant, et se désole du fait que les cyberharceleurs bénéficient de la prescription.

“Tout comme la FIJ, nous demandons que les employeurs prennent enfin au sérieux les plaintes qui leur remontent”, s’insurge Ricardo Gutiérrez, Secrétaire général de la FEJ, “qu’ils mettent en place les procédures permettant d’abord d’éviter d’en arriver là, mais aussi de faciliter le signalement du harcèlement interne comme externe, sans risques professionnels pour la victime, et qu’ils agissent pour mettre fin aux abus rapidement. L’impunité du harceleur est, pour nous, inacceptable”.

Crédit photo : Jeanne Menjoulet / Flickr.