Fédération européenne des journalistes

France: Des médias d’investigation attaqués lors d’une vague de procès-bâillons


La Fédération Européenne des Journalistes (FEJ), avec ses affiliés en France, le SNJ et la SNJ-CGT, joint ses partenaires de Media Freedom Rapid Response (MFRR) pour exprimer son inquiétude face à la récente vague de procès-bâillons lancés par certaines entreprises contre plusieurs médias d’investigations en France. Nous exprimons notre solidarité avec les médias et leurs journalistes et appelons à un rejet rapide de ces affaires par les tribunaux. 

Le 21 septembre 2022, le groupe Altice a assigné en référé devant le tribunal de commerce de Nanterre le média Reflets. Altice invoque le secret des affaires et un trouble à l’ordre public. Altice appartient au milliardaire Patrick Drahi, basé en Suisse, magnat des télécommunications et des médias, et propriétaire de grands médias français, dont RMC, BFM, Libération (en partie grâce à un fonds de dotation, “Le fonds de dotation pour une presse indépendante”) – ainsi que la chaine de télévision israélienne i24.

Le groupe réclame la suppression de quatre articles, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et l’interdiction pour tout média d’utiliser les mêmes informations. La société affirme également que le média est complice d’actions impliquant le groupe de ransomware HIVE, suggérant que Reflets s’est fait l’écho des pirates informatiques et que les articles “augmenteraient la pression sur Altice pour qu’elle paie la rançon”. Reflets maintient la véracité et la légitimité de ses articles, soulignant que les informations publiées sont d’intérêt public, qu’elles ne contiennent aucun secret commercial et que les révélations personnelles sur Patrick Drahi ont été correctement rédigées.

La première audience a eu lieu le 27 septembre 2022 devant le tribunal de commerce de Nanterre. Alors que la décision du juge sera rendue le 6 octobre 2022, Altice a déjà menacé Reflets de procédures judiciaires supplémentaires. Pour aider à couvrir les frais de justice, Reflets a ouvert une collecte de fonds

Cette action en justice est intervenue quelques jours après que la société française Avisa Partners ait engagé des poursuites pour diffamation contre Reflets et trois autres médias français indépendants : Arrêt sur Images, Mediapart et Next INpact. Avisa Partners avait également mis en demeure trois médias, Next INpact, l’ADN et le Miroir du Nord, de supprimer toutes références jugées diffamatoires sur les activités du groupe dans leurs enquêtes.

Avisa Partners est une société française spécialisée dans les actions de plaidoyer, la cybersécurité et l’influence en ligne. Elle a fait l’objet de plusieurs enquêtes publiées au printemps dernier par les médias concernés. Les enquêtes ont révélé les activités suspectes de la société, qui aurait payé des ghostwriters pour rédiger de “faux articles”, avec des signatures forgées, pour des entreprises et des médias sous forme de blogs ou d’op-eds, en plus de campagnes de lobbying et de désinformation au service des entreprises du CAC40 et des intérêts de dictateurs dans des pays comme le Congo et le Kazakhstan.

Le nombre de procédures lancées, le type d’enquêtes journalistiques professionnelles visées et le déséquilibre important entre ces grandes entreprises et les médias attaqués nous amènent à penser que ces procédures visent à intimider et à réduire au silence non seulement les médias concernés mais aussi la presse en général. Les partenaires du MFRR voient dans ces procès de nouveaux exemples de la nécessité d’introduire urgemment une législation anti-SLAPP (procès-bâillons) aux niveaux européen et national.

 

Signataires :

  • ARTICLE 19 Europe
  • Fédération Européenne des Journalistes (FEJ)
  • Syndicat National des Journalistes (SNJ)
  • SNJ-CGT
  • International Press Institute (IPI)
  • OBC Transeuropa (OBCT)