Un journaliste français réduit au silence par la justice suisse
Le 31 juillet 2024, le journaliste français Thomas Dietrich s’est vu ordonner par la justice suisse de retirer ses publications dénonçant des faits de corruption présumés en Guinée et interdit de s’exprimer sur le sujet.
La Fédération européenne des journalistes (FEJ) condamne l’ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de Genève à l’encontre du journaliste d’investigation, et la considère comme une atteinte grave à la liberté de la presse. Les mesures dites “provisionnelles et superprovisionnelles” ont été prises sans informer le journaliste, réduit au silence jusqu’à prochaine audition.
Le 4 mai dernier, Thomas Dietrich révélait dans une vidéo l’obtention du marché d’approvisionnement de carburant en Guinée par la société suisse ADDAX ENERGY, dirigée par le milliardaire Jean-Claude Gandur, sans appel d’offre. Dans quatre autres publications (en date du 6 et 16 mai, ainsi que les 10 et 26 juillet), le journaliste d’investigation a par la suite dénoncé la livraison de carburant comme étant, selon lui, toxique et/ou frelaté, mettant en danger la population guinéenne. Le scandale sanitaire, environnemental et économique ayant éclaté au grand jour, l’organisation de la société civile guinéenne « Le Réseau National des Acteurs du Développement Durable » (RENADE) a saisi la Cour de répression des infractions économiques et financières, en Guinée, demandant la résiliation du contrat pétrolier.
Deux requêtes en protection de la personnalité (article 28 du code civil suisse) ont été alors déposées au tribunal civil de Genève par Jean-Claude Gandur. Cette action en justice permet le retrait de toute “ atteinte illicite” à l’honneur et la réputation du requérant, si elle est imminente, sans audition de la partie adverse. Si la demande de retrait des publications et l’interdiction du journaliste de s’exprimer sur le sujet a été rejetée, le 7 juillet dernier, à défaut d’explication du motif de la demande, le même tribunal civil de Genève a statué le 31 juillet 2024 contre « les posts litigieux peu étayés » de Thomas Dietrich. Le réseau social X s’est également vu ordonné de rendre inaccessible les posts du journaliste depuis la Suisse.
« Je ne céderai pas au silence. La justice n’avance aucun argument sur le fond pour dire que mes publications seraient diffamatoires ou erronées. J’ai tout simplement reçu l’ordre de cesser mes investigations et de les retirer sous 48 heures, sans avoir même été entendu. J’ai décidé de ne pas appliquer la décision de la justice suisse et de continuer à enquêter. Je suis même prêt à me battre jusqu’à la cour européenne des droits de l’homme », a déclaré Thomas Dietrich à la Fédération européenne des journalistes.
« La décision de la justice suisse qui ordonne le retrait de publications journalistiques et l’interdiction de diffuser, “de quelque façon que ce soit, sur tous supports et par tous canaux”, des contenus journalistiques visant ADDAX et son dirigeant est d’une gravité sans nom. Cette mesure unilatérale et arbitraire, prise sous prétexte de la protection de la personnalité, vise clairement à bâillonner des investigations d’intérêt public au détriment du droit d’être informé. Nous appelons la justice suisse à réviser sa position et la justice française, qui risque d’être amenée à statuer sur le caractère exécutoire de la décision en France, à faire valoir les droits du journaliste et les principes fondamentaux de la liberté de la presse », a affirmé Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes.